Hospitalisé depuis plusieurs jours à l'hôpital Georges-Pompidou à
Paris pour une détresse respiratoire, «Roger Hanin est mort ce matin
vers 10 heures» a annoncé le réalisateur Alexandre Arcady. Comédien,
époux de la belle-sœur du président Mitterrand,
il prit beaucoup de plaisir à se risquer sur des terrains très divers.
Mais c'est encore sur une scène qu'il se sentait le mieux. C'est un
accent, une faconde. Une bonhomie apparente qui cachait beaucoup
d'âpreté. Un faux gentil, Roger Hanin, et qui, depuis les années 1980 et l'accession de son beau-frère, François Mitterrand ,
à la présidence de la République, avait eu tendance à se prendre pour
une grande conscience morale. Or, si le public l'aimait, c'est parce
qu'il incarna le bravache commissaire Navarro après avoir été le brave juif pied-noir des films d'Alexandre Arcady, Le Grand Pardon, Le Coup de sirocco et tous les autres Dernier été à Tanger, L'Union sacrée par exemple, avant Le Grand Pardon 2…
L'homme était attachant. Et n'était pas sans talents divers: ses livres de souvenirs ou de réflexion sont de bonne facture ,
ses films corrects, ses pièces de théâtre très efficaces et, si la
notoriété l'a un peu grisé, il demeurera aussi l'homme qui anima des
années durant le Festival d'art dramatique de Pau où, dans le cadre
superbe du château, il adorait jouer
de complexes personnages, tel le Henri IV de Luigi Pirandello,
reprenant le fil des rôles très importants qu'il avait tenus à ses
débuts, travaillant notamment avec Marcelle Tassencourt, Michel Vitold
et d'autres grands noms du théâtre.
Roger Hanin était né Levy, le
20 octobre 1925 à Alger, dans un milieu modeste, très représentatif du
monde «pied-noir». Un grand-père rabbin ,
un père fonctionnaire aux PTT. Il avait l'œil amusé lorsqu'il se disait
«100 % kasher». Il prit comme nom celui de sa maman adorée, Victorine
Hanin. Comme tous les enfants de sa génération, il eut à subir les lois
antijuives de Vichy. Il s'engagea. Son père était communiste et le jeune
Roger suivit sa voie. Mais, en épousant Christine Gouze-Rénal, sœur de
Danielle Mitterrand, il se convertit au catholicisme et se rapprocha des
socialistes qu'il quitta, furibard, après la mort de son beau-frère,
retrouvant sa famille communiste. Un éruptif, Roger Hanin… Mais qui
«connaissait nager» comme on disait à Alger du temps de son adolescence:
les cachets astronomiques de Navarro, produits par son épouse, allaient à celui que tout le monde nommait «le beauf»… De 1989 à 2008, sur TF1 , le commissaire fit les belles soirées de l'Audimat.
Navarro cachait la forêt d'un très long parcours. Du Chemin de Damas, en 1952, aux derniers tournages - tel Soleil,
qu'il réalisa en 1997 - il tourna avec Dassin, John Berry, Marc
Allégret, Michel Deville, Henri Decoin et beaucoup d'autres avant, en
1960, de jouer dans Rocco et ses frères de Luchino Visconti.
Franchement, la filmographie est de qualité, même si son physique de
Latin lover à carrure - il aurait pu être l'autre Lino Ventura du cinéma
français - le conduisit à beaucoup endosser
les rôles de malfrats, du mauvais garçon au parrain ou autre «Gorille»…
Il s'amusait au cinéma. Sauf lorsqu'il s'engageait et réalisait Train d'enfer en
1984, un film dénonçant le racisme ordinaire, d'après un fait divers
qui l'avait frappé. Au théâtre, il défendait un répertoire de haute
qualité.
Il était de la génération d'Avignon et il débuta en 1952
avec Vitold, enchaînant avec Michel de Ré, Marcelle Tassencourt donc,
jouant Malraux, Shakespeare, créant les auteurs de l'époque, Christopher
Fry, Albert Vidalie à Hébertot ou au Vieux-Colombier où il défendit
aussi les grandes pièces de Paul Claudel: la trilogie des Coûfantaine sous la direction de Bernard Jenny en 1962.
Il créa aussi Le Contrat du jeune Francis Veber et l'excellent Zorglub de Richard Bohringer. Dans la foulée, il écrit ses propres pièces: Virgule, Argent mon bel argent qu'il joue au Daunou, puis défend intelligemment les pièces de Jeannine Worms avant de passer à Beckett, En attendant Godot sous la direction de Pierre Boutron. Mais c'est avec Un grand avocat d'Henry
Decker, dans une mise en scène de Robert Hossein, qu'il va connaître le
plus grand succès, en 1983, à Mogador. C'est Fernand Lumbroso et sa
sœur Odette qui dirigeaient alors le théâtre. Notons enfin Une femme parfaite, pièce qu'il avait écrite et joua au Marigny en 2001 et encore, au Petit Théâtre du Temple, Un petit pull-over angora de Daniel Saint-Hamont, fidèle à sa famille d'Alger, en quelque sorte…
Il
y a un peu plus de six ans, il avait, lors d'un entretien avec nos
confrères de RTL, annoncé qu'il renonçait à son métier: il ne voulait
plus être acteur. Il n'avait pas d'amertume. Au soir de sa vie, il
disait qu'il avait eu «une carrière mirifique». «J'ai joué Othello,
Macbeth, tous les grands auteurs, Pirandello, Beckett, Claudel. J'ai
joué tous les grands rôles…» Il rêvait de voyages, de lectures
tranquilles, de bons restaurants. La vie ne lui aura pas laissé beaucoup
de temps pour ce temps-là… On peut lire ses livres de souvenirs*. Ils
sont bien écrits et touchants. Il était émouvant, car, abandonnant ses
postures parfois arrogantes, il redevenait le môme d'Alger la Blanche et
son accent était de sincérité…
In: lefigaro.fr
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