Il y a quelques temps, le portail de gauche espagnol EL DIARIO
écrivait : la Méditerranée est devenue le plus grand charnier de ce
siècle. Un immense cimetière, renfermant des milliers de cadavres. Et
lorsque la mer recrache quelques corps anonymes qui peinent, d'ailleurs,
à monopoliser les bulletins d'information, les politiques revêtent le
masque de l'affliction, sans que rien ou presque ne change pour autant
dans la politique migratoire européenne.
On nous a parlé
de tant de naufrages, de tant de disparitions et de noyades que tout
cela nous semble presque normal, se désole à son tour son confrère de LA VANGUARDIA.
C'est comme si, dit-il, à force d'avoir vu tant d'images de migrants
serrés sur des embarcations de fortune, transis de froid, le regard figé
par la peur, nous étions devenus insensibles à leurs souffrances.
Assis bien au chaud dans nos salons, nous avons même du mal à nous représenter le désespoir de ces migrants, renchérit THE INDEPENDENT.
Et pourtant, devenir un réfugié est sans doute l'une des pires
expériences qui soit, dit-il. Sans compter qu'assimilés à la masse, les
réfugiés perdent leur statut d'individu capable de susciter la
compassion, pour devenir, in fine, le symbole d'un problème que nous ne voulons pas traiter.
Alors
cette fois-ci, en sera-t-il autrement ? Dans l’échelle de l’horreur, le
drame qui s'est produit ce week-end au large des côtes italiennes se
situerait au-dessus des 366 noyés de Lampedusa, qui constituait jusqu'à
présent la plus grande tragédie de la Méditerranée en ce début de
XXIe siècle. Dimanche, précise THE WALL STREET JOURNAL,
quelques 400 migrants auraient en effet disparu dans le naufrage de
leur embarcation. C'est du moins ce que laissent entendre les
témoignages recueillis hier, parmi les 150 survivants débarqués sur la
pointe sud de la péninsule. Selon ces témoignages, il y avait entre 500
et 550 personnes à bord du bateau qui s'est retourné, après être parti
24 heures plus tôt des côtes libyennes. Et parmi les victimes se
trouveraient, notamment, de nombreux jeunes garçons probablement
mineurs, selon l'organisation Save the children.
Entre dimanche et lundi, les garde-côtes italiens disent avoir porté secours à pas moins de 42 bateaux, chargés au total
de plus de 6500 migrants. Un chiffre qui, si l'on remonte cette fois-ci
à vendredi, atteindrait même les 8 000 migrants. D'où cet article du NEW YORK TIMES
: avec l’arrivée du printemps et des conditions météorologiques plus
clémentes, l’afflux de réfugiés atteint aujourd'hui des records. Après
une année 2014 où plus de 3200 personnes sont mortes et plus de 130 000
ont été secourus, les chiffres suggèrent que les fonctionnaires
européens sont susceptibles d'être confrontés à nouveau à une véritable
crise humanitaire en Méditerranée. Les ONG estiment que près de 500
personnes ont déjà péri en mer cette année, contre 50 durant la même
période l'an dernier.
Or avec la multiplication des troubles au Moyen-Orient, mais aussi la guerre et la pauvreté dans certains pays d'Afrique, cumulés à l'annulation de l'opération de secours "Mare Nostrum", laquelle a cédé la place à l'automne dernier à un dispositif de surveillance européen, "Triton", nettement moins ambitieux, l'inquiétude est grande à présent de voir les drames se multiplier.
Que
faire ? Il n'y a pas de formule magique à cet immense défi. Mais l'on
devrait au moins montrer un minimum de volonté politique pour réduire le
flux de réfugiés, avance LA VANGUARDIA, par exemple, en donnant la
possibilité aux demandeurs d'asile d'en faire la demande dans leur pays
d'origine. En clair, les Européens devraient coordonner une stratégie
commune, pour mettre fin au drame qui endeuille quotidiennement les
portes du Vieux Continent .
Son confrère d'EL PAIS
ne dit pas autre chose : l'ensemble de l'Europe doit se rendre à
l'évidence. Elle est aujourd'hui prise comme dans un étau entre d'un
côté les droits de l'homme et de l'autre les sentiments anti-immigration
croissants au sein de la population, attisés par des partis extrémistes
qui intimident les politiques modérés. Voilà pourquoi il ne faut pas
abandonner les différents gouvernements à ce dossier. Le problème
relève, dit-il, de la responsabilité de l'ensemble de l'Union
Européenne, laquelle doit trouver une position commune, afin de
surmonter l'opposition entre ceux qui veulent initier de grandes
opérations de sauvetage et ceux qui les refusent pour ne pas attirer
encore plus de migrants.
Sans quoi, les bandes de
passeurs organisées en réseaux internationaux et hautement
professionnalisés sauront très bien en tirer profit, prévient le site de
la radio publique allemande DEUTSCH LAND FUNK.
Ils sont un maillon de cette industrie de l'isolement, un maillon d'un
système sur lequel l'Europe n'hésite pas à fermer les yeux. On considère
que le fait que des personnes meurent en Méditerranée est devenu une
partie normale de la réalité, qu’on regrette, mais qu’on ne peut pas
changer. Et c’est cela le véritable scandale, renchérit DIE TAGESZEITUNG.
Et
son confrère de la radio publique allemande, à nouveau, de poser cette
question : le droit d'asile est-il un droit humain ? Les personnes qui
fuient les guerres en Syrie, en Irak et en Afrique pour échapper à la
mort doivent-elles pouvoir trouver un havre de sécurité ? Si c'est le
cas, alors il faut mettre en place des voies qui mènent à l'Europe, sans
que les migrants ne mettent leur vie en péril à la frontière.
Par Thomas CLUZEL
In France Culture
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