vendredi 1 mai 2015

Nwel, un rituel millénaire du village Ait Said

Nwel, un rituel millénaire du village Ait Said

Par Mourad Hammami

 Une cérémonie sous forme d'un rituel appelé Nwel a été organisé par les habitants du village Ait Said durant cette journée du 1er mai 2015. Derrière cette action se cache tout un cheminement patrimonial dont seuls les habitants connaissent les secrets.
 
Ait Said est un village connu aussi communément sous le nom de Mayache. Il compte près de 4000 habitants. Il est en même temps le chef lieu de l'actuelle commune de Mizrana, issue du découpage administratif de 1984. Il fait partie de la commune mère de Tigzirt en Kabylie et à 30 km au nord de la ville de Tizi Ouzou.
Ce village, à l'instar des autres en Kabylie, sauvegarde jalousement ses us, ses traditions, ses rituels à travers les siècles.
Parmi les rituels propre à ce village l'on compte le Nwel. Il consiste au rassemblement du gens du village, dans un lieu panoramique situé sur les hauteur du village. Il s'appelle Tabburt Mhend U Hend. Tabburt peut être traduit par "Porte", ou "Voie" d'accès au village. C'est un lieu d'une vue à couper le souffle, avec un paysage pittoresque de la forêt de Mizrana, de la mer loin de 5 km et des monts de la région.
 
Vers cet endroit se convergent les habitants du village. Chaque famille fait acheminer un plat de couscous, des fèves, du lait caillé ou du petit lait. Les plats sont rassemblés, puis la collation commence. dans une belle désorganisation, chaque petit groupe appelé Tasqamuts mangent dans un  même plat. Un geste très symbolique d'union et de fraternité.La cérémonie se termine par des prières , des offrandes et des vœux faites par un Imam ou un sage du village.

Le lendemain un peu plus bas, soit à une centaine de mètres, un autre rituel aura lieu à El Hara n chikh. Il s'agit de sacrifice rituel de bêtes et le partage équitable de la viande entre les famille du village.
Ce rituel selon certain vieux du village remonte au moins à 7 siècles en arrière.
 

Avant, il est fait systématiquement deux fois par année. A l'automne  et au printemps. L'objectif est de formuler des vœux d'abondance de récoltes, lorsque l'on sait que jusqu'à une époque récente, les village kabyles vivent en autonomie et en auto-suffisance alimentaire, ne comptant uniquement  sur leurs efforts et leur récoltes pour survivre. D'où l'importance capitale accordée à ce rituel. La sécheresse était le cauchemar permanent qui hantait les consciences. Ce rituel est capital pour éloigner le mauvais sort. Les habitants y croient énormément au pouvoir de la cérémonie qu'ils organisent dans ce lieu saint et hautement symbolique. Lors des sécheresses, d'autres villages de la région sollicitent d'une façon pressante les habitants de Mayache d'organiser un Nwel.

Les vieux nous disent "qu'autrefois, juste après la cérémonie, le ciel bougeait et grondait. Parfois les plats sont trompés d’eau de pluie avant leur retour  dans les foyers! "

Mais  aussi ce lieu est le symbole  d'union des habitants de l'arch des Ath Said. A vrai dire dans ce village, l'on compte trois sous villages. Ils sont autonomes les uns les autres. L'on compte Tarsift au sud, Izerouil au centre et Akhendouk au nord. Chacun de ces trois village compte une assemblée, un règlement intérieur propre à lui et organise d'une façon autonome lewziâa ou le sacrifice rituel durant la fête religieuse de la fin du ramadhan ou lâaidh themechtouht.

Mais au village existe aussi un comité inter-village qui administre tout, formé de délégués des trois assemblées.
A signaler ces dernières décennies les habitants vivent ensemble, les cafés, les commerces et beaucoup d'autres éléments sont communs. Il est difficile à un étranger de remarquer l'existence de trois villages.
Donc le rituel que l'on organise à l’unisson et hautement significatif et comporte des valeurs sociopolitiques. 
Ce lieu témoigne aussi d'un important événement qui a eu lieu le 29 mais 1825, soit cinq ans avant l'arrivée des français. En effet suite au refus de payement d'impôts jugées injustes, les habitants du village ont eu une expédition punitive du pouvoir Turc. Le général Rachid Agha à la tête de 600 janissaires avait mené une expédition contre les habitants.  Depuis plusieurs jours le village a été assiégé par cet armada de soldats du pouvoir Turc. Ils sont venus d'Alger, via Dellys, et ont remonté vers la région par Tala Tughrast. le Q.G  de ce bataillon de l'armée Turque a été installé sur les mont en face au Sud Est du village, près du village agricole se trouvant à la crête.

Ce détail d'information m'a  été donné par Ali Hakoum dit Ali Moh U Rezki mort quelques mois après. "viens je vais te montrait l'endroit du QG de l'armée Turque qui a massacré notre village. C'est là bà où on aperçoit un ensemble de rocher. D'ailleurs ces rocher on les appelle Tisira Lqaidh ou les rochers du Kaid. C'est à partir de cet endroit qu'il observaient le village. l'attaque  a eu lieu par surprise le jour de l"aïd" nous  a raconté Ali Hakoum, tout en brandissant sa canne pour nous montrer cet endroit.

 La bataille a  eu lieu pendant plusieurs jours. L'on compte tout un massacre, avec 300 personnes du village tuées. les forces turques ont elles aussi connues de grandes pertes dans leur rangs.
Les tête des victimes du village ont été rassemblées dans des fontaines et les têtes de certains chefs du village ont été emportées et accrochées comme un trophée de guerre à Bab Azoun à Alger.
Ce massacre  a eu lieu suite à des trahisons de certains villages de la région qui étaient collaboratives avec le pouvoir truc. La bataille a commencé au sud du village, soit vers Alouanen, et dans leur recul pour battre en retraite, les combattants du village ont été surprit et piégés par d'autres forces venues du nord, censé être sécurisé. Donc le plus grand massacre a eu lieu à Tabburt, lieu d'organisation du Nwel. Un autre élément important qui le hisse en lieu hautement symbolique.

Selon la légende sur ces lieu existe un rocher de couleur rougeâtre. Pour certains habitants cette couleur est le sang des victimes de ce massacre. Un autre lieu situé à Akhendouk qui s'appelle Azrou U Chavane. C'est un rocher de forme presque ronde grand et imposant situé au dessous des habitations. Sur ce rocher également une trace de couleur rougeâtre est attribuée par la légende au sang des victime du pouvoir Turc en 1825.
  
Durant la guerre d'Algérie et selon les témoignages des moudjahidines du village, il y a  eu souvent des accrochages et d'explosions de bombes dans ce lieu, mais miraculeusement aucun combattant de l'ALN n'a été tué dans cet endroit. Certains habitants lui attribue un pouvoir de protecteur permanent  du village, ce lieu qui symbolise l’ancêtre de l’arche.
 
Ce Nwel selon certain était là bien avant l’avènement de l'Islam. Mais il a  été  réadapté suivant cette religion. Mais tout porte à croire que ce mot de forte résonance, signifie Nowel ou Noël , fête importante célébré par les chrétiens pour marquer la naissance du Prophète Jésus Christ.
A signaler que l'Algérie et le nord africain était juif, puis chrétien, bien avant l’avènement de l'Islam.
Mais d'autre l'attribue à une civilisation païenne. 

Enfin à signaler que ce lieu saint, est une petite maison ne portant pas de toit. Selon la légende, à chaque fois qu'on tentait de lui placer un toit, le lendemain, on ne le retrouve pas! 
C'est une légende à laquelle  une bonne partie des gens du village croient fermement. Et dire que c'est une maisonnette ouvert vers le Ciel, vers Dieu!

Qu'importe l'origine, l'important est qu' en dépit des développements connus par le monde Tabburt et Nwel continuent de fasciner, exister, de briller, de symboliser l'union, la communion et les prières pour la paix, le développement et l'abondance des récolte et de protection.
 
Pour mieux pérenniser ce lieu un projet est en cours pour réaliser une plate-forme, suivie de stèle à la mémoire de toutes les victimes pour devenir en plus de ce qu'il est , un lieu de tourisme. Il est un lieu de spiritualité, de l'union, une forteresse, un sommet hautement élevé et profondément symbolique. Il est un patrimoine de toute une civilisation kabyle et algérienne en général.

M.H

  

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