Amirouche Aït Hamouda, (en amazigh, ⴰⵎⵉⵔⵓⵛ ⴰⵉⵜ-ⵃⴰⵎⵓⴷⴰ) (né le 31 octobre 1926 à Tassaft Ouguemoun - mort au combat au sud de Boussada, le 29 mars 1959), surnommé par les Français « le loup de l'Akfadou » et « Amirouche le terrible », est un militant nationaliste algérien, colonel de l'Armée de libération nationale (ALN) et chef de la wilaya III pendant la guerre d'indépendance de l'Algérie.
D'une intelligence vive et d'un caractère décidé, âgé de moins de
trente ans, il prend de sa propre initiative le commandement de la Wilaya III. Il devient, selon son biographe Saïd Saadi,
la bête noire de la France qui mobilise vainement, pour en venir à
bout, près de 11 000 hommes, auxquels s’ajoutent les unités locales, 8
généraux et 27 colonels lors de l’opération Brumaire en 1958.
L'image du colonel Amirouche est cependant loin de faire l'unanimité
en Algérie. Il est notamment fortement critiqué pour les purges
sanglantes qui se déroulent dans la Wilaya III durant l'opération bleuite
et qui affaibliront durablement celle-ci. Il est trahi par certains de
ses camarades et tombe dans une embuscade tendue par l'armée française
le 28 mars 1959
Il est né le 31 octobre 1926, à Tassaft Ouguemoun, une petite localité du Djurdjura.
Orphelin, il est le fils d'Amirouche Aït Hamouda et de Fatima Aït
Mendès Bent Ramdane. À la mort de son père, il hérite de son prénom,
comme l’exige la tradition. Un an après sa naissance, sa mère veuve
prend ses deux enfants, Boussad, l’aîné, et lui-même ; elle quitte le
village de son époux pour rejoindre le hameau dont elle est originaire,
Ighil Bwammas, à une encablure de là. La famille des oncles maternels
étant elle-même très pauvre, le jeune Amirouche devra apprendre de bonne
heure à se rendre utile pour survivre et, le cas échéant, à aider sa
mère et son frère, pourtant plus âgé que lui de trois ans.
Dans la
région, une coutume veut que les garçons dont les parents sont morts ou
particulièrement indigents servent chez des familles plus aisées dans
lesquelles ils sont nourris en échange d’une aide confinant à la
servitude. Il arrive ainsi que des personnes passent leur vie dans une
forme de servage perpétuel, sans autre garantie que celle de se voir
accorder leur pitance quotidienne. Ce statut est dénommé « acrik », ce
qui équivaut à celui du serf de l’Europe médiévale.
C’est à ce sort
qu’était destiné Amirouche Aït Hamouda dès sa prime enfance. Il réussit
cependant à se faire scolariser tout en s’acquittant de ses nombreuses
et pénibles tâches. Ces quelques années d’école sont déterminantes dans
son existence : il y apprend à lire et à écrire et développe une
capacité d’écoute qui lui permet toute sa vie de satisfaire son esprit
curieux de tout.
Amirouche se marie, à Oued Fodda,
avec sa cousine germaine. Son oncle-beau-père, plus riche que le reste
de la famille, l'aide à monter un petit commerce de bijouterie à Relizane. C'est dans cette bourgade de l'Oranie qu'il retravaille et vend, entre autres pièces, les colliers, les bracelets et les bagues des Aït Yenni, dont la renommée artistique s'étend bien au-delà de la Kabylie. Cet artisan bien établi, a un jeune garçon, Amrane Ait Hamouda, dit Nouredine, futur député du RCD).
Amirouche s'engage en politique. Il approuve le leader nationaliste de la ville, le
Dr Ahmed Francis, qui dénonce - c'est l'époque du proconsulat de Marcel-Edmond Naegelen - les élections truquées. Les options qu'il prend sont cependant plus radicales que celles du responsable de l'UDMA. Non content d'adhérer au MTLD et de quitter Relizane pour aller s'employer, à Alger, comme permanent au siège de ce mouvement, place de Chartres, il entre à l'O.S.
Lorsque la répression s'abat sur l'Organisation Spéciale du MTLD, en
1950 - 1951, Amirouche est incarcéré. Libéré, mais interdit de séjour à
Alger, il retourne, à sa sortie de prison, à Relizane, mais il va
clandestinement passer les dimanches dans la capitale. Bien qu'il soit
fort anticommuniste, il va souvent rendre visite à des amis du journal du PCA
Alger républicain.
De la bijouterie au maquis
Comme il est surveillé de près par les polices d'Alger et de
Relizane, il décide de se rendre en France. Il milite, à Paris, au MTLD,
dans la kasma du
3e arrondissement (qui, après, le
1er novembre 1954, sera l'une des premières à adhérer à la Fédération de France du FLN
lorsque celle-ci sera constituée par Terbouche Mourad). Rentré en
Algérie, Amirouche apprend, à Alger, en décembre 1954, que son père,
tout comme d'autres notables de la région, a été imposé
pour un million de francs - « au hasard et injustement », proteste-t-il
- par un leader local trop zélé du FLN. Il entre en contact avec le FLN
de la région des Ouacifs,
règle à l'amiable l'affaire de la taxe - la mesure qui avait frappé son
père est annulée, puis il rejoint le groupe armé FLN le plus proche.
Amirouche y arrive à un moment crucial, puisque le chef du maquis de la zone de Michelet, Amar Ait Chikh,
vient d'être tué dans un accrochage avec une unité française. Les
combattants sont démoralisés. Amirouche leur donne des conseils pour se
réorganiser. II le fait avec une telle autorité et un tel ascendant que
les maquisards lui demandent de prendre la place d'Amar Ait Chikh. II
accepte. L'initiative est hardie, car jamais encore un responsable FLN
n'a occupé un commandement militaire sans avoir été préalablement
désigné par l'échelon supérieur de la hiérarchie de l'organisation.
Rencontre avec Krim Belkacem
Au début de l'année 1955, on signale au chef de la wilaya III, Krim Belkacem qu'un certain Amirouche avait pris de sa propre initiative le commandement de la région de Michelet, après la mort de son chef Amar Ait Chikh.
Il décide de juger lui-même, par un contact direct, s'il doit
s'attacher ou éliminer Amirouche. Il s'installe, avec son escorte, à
Illiten sur les hauteurs du Djurdjura,
et il envoie à Ouacif un émissaire chargé de dire à Amirouche qu'il
doit se présenter, seul, dès le lendemain, à ce P.C. bien camouflé. Krim
Belkacem calcule que, compte tenu de la distance Ouacif-Illiten, le
voyageur devrait atteindre le P.C. au coucher du soleil. Amirouche
arrive, en fait, avec quatre heures d'avance sur l'horaire prévu.
Ce
grand gaillard, moustachu et barbu, montre ainsi ses qualités de
« coureur de djebels », un marcheur infatigable, capable d'abattre
soixante-dix kilomètres dans sa journée et passe un premier test
favorable. Krim Belkacem,
qui avait une grande habitude des hommes de la montagne, le jugea très
rapidement. Un dur, décidé, réceptif, tranchant, impitoyable. Il fallait
se l'attacher ou le supprimer. L'entretien Krim Belkacem-Amirouche est
d'abord assez tendu, car le chef de la wilaya III rappelle fermement à
son hôte que personne n'a le droit d'exercer un commandement dans le
FLN, de collecter de l'argent et de récupérer des armes sans avoir été,
au préalable, dûment mandaté.
La défense d'Amirouche est habile. Il
explique que s'il n'était pas intervenu, les combattants, désorientés
par la mort d'Amar Ait Chikh, se seraient dispersés en petits groupes anarchiques ou seraient rentrés chez eux.
Il donna à Krim Belkacem
ébahi des comptes rendus d'activité très bien rédigés d'une petite
écriture fine, avec le nom des hommes, les comptes financiers au centime
près. II n'y avait pas d'équivoque. Krim le jugea ferme et décidé, mais
obéissant et remarquablement organisé.
Amirouche numéro 2 de la wilaya III
Krim Belkacem saisit le jeune chef d'une proposition précise, et qui
est acceptée d'enthousiasme : Amirouche quittera sa « région d'origine »
des Ouacifs, où il ne serait pas prudent de séjourner plus longtemps, et il deviendra le responsable FLN de toute la vallée de la Soummam, de El Kseur à Bouira. Son rôle sera d'implanter de nouveaux maquis dans cette zone difficile, travaillée par la propagande messaliste, et d'établir,
via Bouira, une liaison avec la wilaya II (Constantinois) dont la wilaya III (Kabylie) est coupée.
La mission est accomplie. Un mois plus tard, des groupes de choc FLN
bien organisés opèrent dans la vallée de la Soummam et Amirouche a noué,
par courriers spéciaux, un contact avec les chefs des wilayas voisines. La direction du FLN constate qu'elle peut avoir, pour la première fois, une vision globale de l'action de l'ALN dans toute l'Algérie.
En mai-juin 1955, les opérations de l'armée française prennent,
cependant, une telle ampleur que toutes les communications des wilayas
sont à nouveau interrompues, y compris celle d'Amirouche avec la wilaya
II. Néanmoins, Amirouche a remporté une victoire importante en écrasant,
après un combat bien mené, le maquis MNA de Bellounis, qui était la plus grosse épine plantée au cœur de l'organisation FLN de Kabylie.
Amirouche, qui établit son quartier général à l'est du Djurdjura,
dans la région des Bibans, s'est hissé au rang de principal adjoint de
Krim Belkacem. Ce dernier le charge alors d'assurer la sécurité de la
tenue du Congrès de La Soummam
le 20 août 1956, concentrant dans la zone de l'endroit où devait avoir
lieu la rencontre plusieurs centaines d'hommes tout en mettant au point
une habile diversion pour attirer les forces d'occupation dans une autre
partie de la Kabylie.
Amirouche Aït Hamouda et Omar Ben Boulaïd
Doté d'une résistance physique extraordinaire, surnommé le « loup de l'Akfadou »
et « Amirouche le terrible » (il lui arrive souvent de faire à pied,
dans sa journée, des randonnées de 50 à 70 kilomètres), il se déplace
sans arrêt. À son P.C., en revanche, cet organisateur qui aime la
hiérarchie des postes et des responsabilités, se transforme en
fonctionnaire pointilleux. II rédige lui-même, d'une petite écriture
serrée, rapport sur rapport, dresse des organigrammes, fait fonctionner toute une bureaucratie
avec ses papiers à en-tête, ses notes en triple exemplaire, ses cachets
et ses tampons.
Il est particulièrement connu pour son tempérament
brutal, psychorigide et intraitable, faisant régner, parmi ses troupes,
une discipline très stricte et souvent même féroce, mais sa loi de fer
est acceptée sans murmure parce que le chef est aussi dur pour lui-même
que pour les autres. II partage entièrement la vie des combattants,
prend sa part de leurs corvées (transport du ravitaillement, travaux de
terrassement pour la construction des abris, etc.) et chante les poèmes
dans lesquels le barde kabyle Si Muhand exaltait, il y a bien longtemps déjà, la résistance aux étrangers : « J'ai juré que de Tizi Ouzou Jusqu'à l'Akfadou, Ils ne me commanderaient pas… »
La réputation d'Amirouche est telle que les volontaires affluent dans ses groupes armés, dans ses maquis qu'Abane
appellera un jour, au cours d'une réunion de direction du FLN, les
« maquis modèles ». En juin 1955, le chef kabyle se trouve à la tête de
800 soldats constitués en unités homogènes dont la plus petite est le
détachement de onze hommes. Bien armés, tous ces combattants sont aussi
bien habillés grâce aux collectes d'argent que les percepteurs
d'Amirouche effectuent dans différentes localités de Kabylie, surtout
entre le 20 et le 30 de chaque mois, lorsque les travailleurs partis
pour la France « l'exil au front », selon la formule de Si Muhand U M'hand, envoient leur mandat postal
au pays natal. Les malades et les blessés sont soignés dans un service
de santé qui fonctionne avec la collaboration secrète des médecins
d'Alger.
La « guerre psychologique »
est menée par Amirouche avec le même dynamisme que la « guerre des
fusils. » Quand les autres zones de la wilaya III tirent leurs tracts à
150 exemplaires, celle d'Amirouche tire les siens à 1 500 exemplaires.
Krim Belkacem a raison de dire que le jeune homme qu'il a recruté, six
mois plus tôt, à lliten est devenu le meilleur de ses lieutenants. C'est
en grande partie grâce aux combattants d'Amirouche que le chef de la
wilaya III pourra soutenir honorablement, en juillet, le choc de la
« division de fer » du général Beaufre, beaucoup plus offensive que les unités françaises précédemment engagées sur le terrain.
Lors du départ de Saïd Mohammedi,
le conseil de la Wilaya le désigne comme successeur, fonction qu'il
refusera pour appliquer la règle établie par l'ALN qui exige que le
poste revienne à l'officier le plus ancien dans le grade, en
l'occurrence Saïd Yazouren dit Vrirouche. Ce dernier, envoyé à Tunis,
sera maintenu à son poste pour permettre la désignation d'Amirouche au
grade de colonel.
Durant l'été 1957, il fut nommé au grade de colonel de la wilaya III après que Krim Belkacem et Saïd Mohammedi eurent rejoint le Comité de coordination et d'exécution (CCE).
L'épisode de la « bleuite »
En 1958-1959, une opération d'infiltration et d'intoxication à grande échelle, connue sous le nom de «
Bleuite »,
montée par les services secrets français atteint ses objectifs et
entraîne des purges internes extrêmement meurtrières au sein de la
wilaya III. Ces purges touchent en plus grande partie des militants FLN
fidèles considérés comme traîtres.
L'intoxication consistant à faire croire que certains des chefs FLN
travaillaient pour l'armée française réussit. Le capitaine Ahcène
Mahiouz (surnommé Hacène la torture), chef de la zone 1 de la wilaya III
développe un processus infernal : arrestations, tortures, aveux forcés,
dénonciations, liquidations, nouvelles arrestations. Amirouche ne met
pas un terme à ce massacre et soutient son capitaine étant lui-même
persuadé du complot. Il adresse ainsi une circulaire aux autres chefs
des
wilayas :
« J'ai découvert des complots dans ma zone, mais il y a des
ramifications dans toutes les wilayas. Il faut prendre des mesures et
vous amputer de tous ces membres gangrenés, sans quoi, nous crèverons!
J'ai le devoir de vous informer en priant Dieu pour que ce message
vous parvienne à temps, de la découverte en notre wilaya d'un vaste
complot ourdi depuis des longs mois par les services français (Godard et
Léger) contre la révolution algérienne. Grâce à Dieu, tout danger est
maintenant écarté, car nous avons agi très rapidement et énergiquement.
Dès les premiers indices, des mesures draconiennes étaient prises en
même temps : arrêt du recrutement et contrôle des personnes déjà
recrutées, arrestation des goumiers et soldats « ayant déserté »,
arrestation de tous les djounoud (soldats) originaires d'Alger,
arrestation de tous les suspects, de toutes les personnes dénoncées de
quelque grade qu'elles soient et interrogatoire énergique de ceux dont
la situation ne paraissait pas très régulière, le réseau tissé dans
notre wilaya vient d'être mis pratiquement hors d'état de nuire après
une enquête d'autant plus ardue que ses chefs étaient en apparence
au-dessus de tout soupçon. »
Les arrestations, les dénonciations se multiplient en quelques
semaines. À ce régime, les suspects racontent n'importe quoi et
Amirouche se sent renforcé dans son espionnite. Cette vague d'épuration
coûtera la vie à environ deux à six mille cadres et militants FLN.
Amirouche précise que les traîtres sont surtout des personnes
instruites, intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et
enseignants. La wilaya crispée par la méfiance se replie sur elle-même.
Cette opération causa plus de pertes à l'ALN que les combats eux-mêmes,
et provoqua le ralliement de nombreux combattants affolés. Le principe
du cloisonnement dans l'ALN et le devoir de réserve des principaux
concernés aggravent la situation.
- Lettre ouverte au colonel Godard
Par une lettre ouverte au colonel Godard, le colonel Amirouche
s'adresse à lui pour lui faire savoir qu'il a découvert le prétendu complot…
ce qui revient à lui annoncer triomphalement qu'il est tombé dans le
piège. Cette lettre, intéressante à plus d'un titre, témoigne
inopinément du respect que les officiers de l'
ALN.
ressentent pour un officier français. Leurs notions de l'honneur d'un
officier français est telle qu'Amirouche est scandalisé que Godard,
qu'il croit l'artisan du prétendu complot contre-révolutionnaire.
« Au lieu d'aller combattre loyalement les vrais Moudjahidines, vous,
Godard, qui prétendez être officier ... vous avez préféré travailler
dans l'ombre ... oui, colonel Godard, vous étiez né, élevé et grandi
dans l'amour patriotique d'une nation civilisée et même civilisatrice,
vous étiez destiné à jouer un rôle toujours grandissant dans l'armée en
exposant votre vie, vos poitrines aux balles des Allemands, ou de toute
autre nation, égale tout au moins à la vôtre, qui vous déclarerait là
guerre. Jusqu'au jour où vous avez rejoint l'armée colonialiste, je n'ai
rien à vous reprocher étant donné votre zèle et votre amour pour votre
pays en le servant dans l'honneur et la gloire, et par tous les moyens
appropriés ... Vous venez de ravaler votre honneur à celui d'un simple
mouchard au service d'une poignée de colonialistes. »
Amirouche lui-même aurait déclaré que 20 % des exécutés étaient innocents, mais il se serait défendu en ces termes :
« La
révolution ne commet pas d’injustices, elle fait des erreurs. Pour
éliminer la gangrène, il faut couper jusqu’à la chair fraîche. En tuant
les deux tiers des Algériens, ce serait un beau résultat si l’on savait
que l’autre tiers vivrait libre6. ».
Amirouche contre ceux de « l'extérieur »
À la fin de l'année 1958, la situation des wilayas
est désastreuse. La révolte gronde à cause du manque
d'approvisionnement en armes, munitions et argent pour la continuation
du combat dans les maquis. Amirouche veut établir avec les chefs de
wilaya une unité d'action à l'égard de l'extérieur. Une grande réunion
se tint en wilaya II en pleine montagne au centre d'un triangle Taher-
Mila-El Milia,
du 6 au 13 décembre 1958. Elle marquait le premier désaccord violent
entre les maquis de l'intérieur et la direction de la révolution qui est
à l'extérieur. Son âme en était Amirouche qui comptait sur cette
assemblée extraordinaire - la première depuis le congrès de la Soummam
à se tenir en Algérie pour rétablir les vieux principes de primauté de
l'intérieur sur l'extérieur. Il était temps de prouver à ces
« révolutionnaires de palace », « les responsables embourgeoisés de Tunis et du Caire »
que ceux qui se battaient dans les maquis devaient avoir une place
prépondérante dans la direction de la révolution. Après avoir rencontré Si M'hamed
et l'avoir convaincu de l'importance d'une telle conférence, Amirouche,
qui se révèle le plus décidé des chefs de wilaya, se livre à un
véritable travail de propagande anti-GPRA.
Exploitant un sentiment d'amertume très général, il démontre aux autres
chefs à quel point le GPRA, qui devait être le « prolongement » de
l'intérieur à l'extérieur, les abandonnait.
« Nous devons dès aujourd’hui taper du poing sur la table et demander
des comptes au GPRA pour son attentisme, son incurie, son incapacité à
résoudre le problème du franchissement du barrage français
à la frontière algéro-tunisienne, ses actions répressives contre nos
frères de l’ALN qui ont voulu récemment dénoncer ses méthodes
dictatoriales et bureaucratiques et qui se retrouvent aujourd’hui en
prison. Nous devons enfin lancer un appel public à l’opinion algérienne
pour lui faire connaître nos positions. Ils font de la politique sans
faire la guerre, nous devons reconsidérer toute notre stratégie de la
conduite des affaires. L'intérieur se trouve délaissé, livré à ses
propres moyens. Le GPRA pas plus que l'état-major général
- qu'il soit de l'Est ou de l'Ouest - ne nous envoie d'armes ni de
munitions. Le barrage devient pour nous infranchissable. Et eux, avec
leur armée des frontières, ne font rien pour le franchir et nous ravitailler. »
Sentant que son sentiment était partagé par les chefs de wilaya
présents, Amirouche poussa son avantage. II était impossible que le GPRA
soit le leader de la révolution puisqu'à la Soummam on avait défini la
primauté de l'intérieur sur l'extérieur. Le GPRA n'était donc constitué
que par des « émissaires » des maquis. « Les véritables chefs de la
révolution sont à l'intérieur, s'écria Amirouche, on ne saurait accepter
un état-major qui ne soit pas au combat à nos côtés ! »
Autour d'Amirouche, Si M'hamed (wilaya IV), Si El Haouès (wilaya VI), Hadj Lakhdar (wilaya I). Manquaient à l'appel les chefs des wilayas
II et
V, (le Constantinois et l'Oranais).
Avec eux, Amirouche, qui tentait de regrouper autour de son nom le
mécontentement des chefs de l'intérieur, avait essuyé deux échecs. Ali Kafi, le chef de la
II,
l'avait néanmoins reçu, entouré de Lamine Khene, nouveau secrétaire
d'État du GPRA, et de Çaout EI·Arab qui allait devenir son successeur.
Ben Tobbal, au sein du GPRA, avait gardé une telle autorité sur ses
hommes restés à l'intérieur que ceux-ci malgré leur amertume et leurs
difficultés ne pouvaient imaginer que leur ex-patron les laissât tomber.
Si le GPRA. ne les aidait pas plus c'est qu'il y avait des difficultés
qui les dépassaient. Ali Kafi avait refusé de participer à la réunion.
De même, à l'ouest, Boussouf le bras droit de Boumediene et patron du redoutable service de renseignement de l'ALN le MALG, gardait la haute main sur ses hommes. En outre, Boumediene, qui était l'homme fort de la wilaya V et de l'état-major général de l'ouest (et futur chef du clan d'Oujda),
donnait beaucoup plus d'importance à l'avenir qu'aux « querelles »
d'Amirouche et n'entendait pas s'élever contre le GPRA sous la bannière
d'Amirouche. Lorsqu'il le jugera utile, un an plus tard, il sera chef
d'état-major général et c'est lui seul, Houari Boumediene, qui décidera
d'ouvrir les hostilités entre l'état-major et le GPRA.
Mais Amirouche, montagnard farouche et décidé, ne s'était pas
embarrassé de ces deux « abstentions ». Les WIlayas I, III, IV, VI,
représentant les deux tiers de l'Algérie combattante, décidèrent donc de
taper du poing sur la table et d'adresser au GPRA une véritable mise en
demeure : l'extérieur devait se soumettre à l'intérieur. Grisé par son
succès, Amirouche voulut même adresser ce coup de semonce face à
l'opinion publique. Ses compagnons le retinrent à temps sur cette pente
dangereuse.
« Réglons notre affaire discrètement, dévoiler publiquement nos
dissensions internes risquerait de povoquer une scission dont
profiteraient les Français. »
C'était une véritable déclaration de guerre contre le GPRA. Amirouche
menait la tête d'un mouvement de révolte contre l'autorité centrale.
- Amirouche ne sera pas général
Après la réunion inter-wilayas les ambitions d'Amirouche sont
immenses. Il espère faire comprendre à « l'extérieur » que sa tutelle
est nécessaire aux autres régions où personne n'est en état de faire
face à l'extension de la « subversion ». Ce qu'il ambitionne, c'est un poste que nul n'a occupé : celui de général en chef commandant
tout « l'intérieur » - titre qui n'a jamais existé et dont on comprend
que « l'extérieur » s'opposât à ce qu'il existât jamais. Car celui qui
l'aurait atteint aurait tenu « l'extérieur » à sa merci.
L'épuration commencée en Kabylie devait s'étendre non seulement à la totalité des maquis mais encore à tous les services extérieurs du FLN, à commencer par le GPRA, l'Armée des frontières, l'État-Major Général (EMG) et le MALG. Amirouche se sentait l'homme de la situation. Son ambition était sans limite. L'ascétique ouvrier bijoutier de Tassafth Ouguemoun avait l'âme d'un « réformateur » puritain.
Il brûlait de rendre sa pureté originelle à une révolution qui s'en
écartait singulièrement. Le sort allait en décider autrement.
Dernier voyage du colonel Amirouche
Carte de la bataille de Djebel Tsameur au sud de Boussada Le colonel Amirouche y trouvera la mort en mars 1959.
Amirouche qui voulait se présenter à Tunis pour rencontrer le GPRA, le 6 mars 1959, se met en route, entraînant avec lui Si El Haouès, escortés par le commandant Amor Driss, accompagnés par 40 djounouds. Le parcours de son P.C. de l'Akfadou à Tunis est une expédition d'une durée non limitée et d'un danger permanent. Ils sortent de Kabylie et passent vers le sud, entre Djelfa et Boussada
avant de rejoindre la frontière tunisienne. Mais, son itinéraire fut
communiqué au commandement français par un opérateur radio du
MLAG aux ordres de Boussouf, qui désirait se débarrasser de ces deux « contestataires » trop encombrants
Le colonel Ducasse du
6e RPlMa, informé de l'itinéraire et des horaires, décide de leur tendre une embuscade entre le djebel Tsameur et le djebel Djininibia, à 75 kilomètres au sud de Boussada.
Les quarante hommes de l'escorte résistent avec courage aux attaques de
nombreux soldats français qui les encerclent. Amirouche et ses hommes
se cachent dans des grottes des falaises et il est impossible de
s'approcher. Il faut faire venir la Légion, le
2e escadron du
1er régiment de spahis, et un régiment d'infanterie en renfort.
L'aviation et les canons des EBR Panhard
pilonnent les grottes. Après un combat, violent et inégal (40 djounoud
contre 2 500 soldats français), on dénombre cinq prisonniers et
trente-cinq tués algériens. Parmi les cadavres, le colonel Amirouche et Si El Haouès.
La fouille des documents trouvés confirment que c'est bien Amirouche.
Mademba Sy et Bole du Chaumont trouvent même un million et demi en
billets, somme qui trouvera place dans la caisse noire du régiment.
Ducasse, ne veut croire que ce qu'il voit, avant de transmettre la
nouvelle à Alger.
L'examen des documents trouvés dans les musettes, révéla un certain
état d'esprit régnant dans les Wilayas, fortement éprouvées par les
opérations successives, sans avoir d'aide, ni soutien de la part des
états-majors de l'ALN. Amirouche incitait le GPRA, à Tunis, à lancer des
séries d'opérations en France, avec le soutien, la complicité, des « porteurs de valises ».
Enfin dans une poche d'Amirouche, Bole du Chaumont trouve liées
ensemble comme des lettres d'amour les lettres remises par le colonel Godard et le capitaine Léger aux messagers qu'ils envoyaient sur les sentiers de la wilaya III à de prétendus correspondants. Ces lettres constituaient pour Amirouche la justification de ses purges.
Pour ceux qui les compulsèrent, elles prouvèrent qu'il s'était lui-même
enfermé dans le piège dans lequel il était tombé et que la « bleuite » affligerait désormais sans répit les wilayas.
Un hélicoptère Sikorsky H-34
se pose en fin d'après-midi, pour ramasser les corps « importants »
d'Amirouche et de Si El Haouès qui sont présentés à la presse. Ait
Hammouda, cousin d'Amirouche, ramené de Tassaft, identifiera avec
certitude le corps du colonel Amirouche, devant les journalistes.
L'armée fera embaumer les corps. De nombreux officiers et soldats se
feront photographier devant les dépouilles par les journalistes
accourus. En hâte, l'armée fera imprimer des milliers de tracts que des
avions répandront sur les maquis de toutes les wilayas : «
Le chef de la
wilaya III, Amirouche, le chef de la wilaya VI, Si El Haouès, sont morts. Quittez ceux qui vous conduisent à une mort inutile et absurde. Ralliez-vous ! Vous retrouverez la paix! »
À Tunis, le GPRA déclara qu'il n'avait pas confirmation de la mort du
colonel Amirouche et de Si Haouès, ajoutant que « cela ferait deux
morts glorieux de plus que compterait notre cause, mais n'entamerait pas
la ferme résolution de nos combattants pour qui l'idéal reste le
même. »
Dépouille du Colonel Amirouche
Statue de Amirouche à Asqif-n-Tmana
Le colonel Amirouche et son compagnon Si El Haouès n'en avaient pourtant pas fini avec la vindicte de leurs camarades de combat du clan d'Oujda installés au Maroc. Six ans après leur mort, en 1965, le colonel Boumédiène, devenu président, fit déterrer et cacher leurs dépouilles clandestinement dans les sous-sols d'une caserne de gendarmerie à Alger, épisode qui est lui-même controversé. Elles ne seront récupérées par son fils Nordine Aït-Hamouda que dix-sept ans plus tard. Elles sont réhabilitées et inhumées dignement au cimetière d'El Alia.
Le pays commémorera, 25 ans après, leur disparition, et donnera le
nom d'Amirouche à un boulevard d'Alger. L'image du colonel Amirouche est
néanmoins loin de faire l'unanimité en Algérie. Il est notamment
fortement critiqué pour les purges sanglantes, les exécutions
d'innocents et la liberté d'action laissée à Ahcène Mahiouz durant
l'opération de la bleuite qui affaibliront durablement la Wilaya III
Source: Wikipédia .