Ce n’est plus un épiphénomène : le nombre d’Algériens établis au Canada
qui divorcent ne cesse de prendre des proportions exponentielles. Nous
avons tenté de cerner la problématique pour mieux comprendre les enjeux
d’un tel fléau social. Témoignages.
La communauté algérienne,
installée au Canada, est numériquement importante. Au consulat général
d’Algérie à Montréal, on avance le chiffre de 60 000 personnes
immatriculées. Or, l’on sait que beaucoup de nos compatriotes ne se
bousculent pas au portillon de la représentation diplomatique algérienne
pour se faire délivrer la carte consulaire.
À lui seul, le nombre
d’inscrits sur le fichier électoral, 10 617 à Montréal et 2 742 à la
chancellerie à Ottawa, renseigne sur le peu d’empressement des Algériens
à s’immatriculer. Il est donc évident que le nombre d’Algériens
installés au Canada dépasse allègrement ce chiffre rond de 60 000. Si
nos émigrés vivent de fortunes diverses, en ce sens que le projet
d’émigration ne se réalise pas souvent comme prévu, du moins pour nombre
d’entre eux, ce n’est pas forcément l’eldorado rêvé au moment de mûrir
le projet qu’on retrouve, une fois qu’on traverse l’Atlantique.
Les Algériens, en arrivant sur le sol canadien, découvrent un peu ébahis
le revers de la médaille. Outre les difficultés d’adaptation dans la
société d’accueil et surtout d’intégration du marché du travail
canadien, les Algériens ont généralement du mal à faire valoir leurs
diplômes et expériences professionnelles. L’expérience, acquise en
dehors du Canada, n’est pas automatiquement prise en compte par les
employeurs canadiens.
Les couples algériens arrivent sur place et
découvrent d’autres repères, d’autres habitudes de vie, d’autant que ce
n’est pas la même sphère culturelle. On essaie ainsi de retrouver des
repères de stabilité dans un contexte fait d’épreuves difficiles qui
nous font voir de près la réalité du rêve américain, qui est loin de
l’image idyllique que l’on se fait. Ce sont tous ces problèmes
imbriqués les uns dans les autres qui provoquent des dissensions dans
les couples algériens. Conséquence immédiate : souvent on arrive à la
séparation.
Le divorce. Il va de soi que les expériences de
séparation vécues par les Algériens diffèrent d’un couple à un autre.
Mais force est de constater que le divorce touche aussi bien les couples
arrivés ensemble et avec des enfants au Canada que les couples issus du
parrainage, qui est une pratique courante pas seulement chez les
Algériens. Selon Statistique Canada, entre 12 000 et 15 000 divorces
environ sont enregistrés annuellement au Québec. Dans ce chiffre, il y a
une forte proportion d’Algériens.
Les témoignages que nous avons pu
récolter renseignent, si besoin est, de la détresse des couples
algériens qui se déchirent, avec les conséquences sur le foyer,
notamment les enfants, les premières victimes. Ils nous renseignent
aussi sur le choc culturel surtout pour ceux qui veulent reproduire le
schéma traditionnel de la famille dans un pays où même la notion moderne
de famille nucléaire semble aujourd’hui dépassée.
Choc culturel
Même si elle a fait l’université, Souad était sans travail en Algérie.
Son couple vivait en harmonie. Arrivée au Québec avec son mari et un
enfant en bas âge, elle découvre une nouvelle société avec de nouvelles
normes. Elle veut donc entrer dans le moule même si ce n’est pas
toujours évident pour tout le monde. Son mari vivote pendant un bon
moment avant de décrocher son premier emploi dans un domaine qui n’est
pas le sien. Son fils mis dans une garderie, elle commence alors à
sortir et fréquenter d’autres femmes, d’abord de son voisinage, puisque
le couple réside dans un quartier où il y a beaucoup d’Algériens. Son
mari désapprouve.
C’est la chicane. “Mon ex-mari ne voulait pas
que je sorte de la maison seule, parce que je ne le faisais pas quand
j’étais en Algérie”, dit-elle. Ne pouvant plus supporter qu’elle soit
tout le temps rappelée à l’ordre par son époux, elle finit par demander
le divorce. La procédure a été expédiée en deux temps, trois mouvements.
Le jugement en poche, elle fait valoir ses droits à la pension
alimentaire, d’autant plus qu’elle ne travaille pas et qu’elle a un
enfant en bas âge. Mais depuis le temps, elle a fini par trouver un job.
Une nouvelle vie commence pour elle.
Le cas de Nadia est passé
par le 911, le numéro d’urgence de la police. Après 15 ans de vie
commune, dont une décennie passée au pays de l’Érable, le couple se
sépare. C’est que le mari n’a pas admis que sa femme soit aussi autonome
; elle a trouvé un emploi très vite, alors que lui a dû chercher une
formation dans l’espoir de trouver du travail dans un domaine connexe à
son profil professionnel.
La femme a acquis une indépendance
financière et devient malgré elle chef de famille. On assiste alors à
une inversion des rôles. Ce que n’a pas accepté l’homme qui semble
touché dans sa dignité. Et c’est parti pour des soirées mouvementées à
la maison. “On se chamaillait presque chaque jour”, se rappelle notre
interlocutrice, qui dit avoir appelé la police le jour où son ex l’a
frappée devant leurs deux enfants.
Ce qui a valu au mari une nuit
en cellule. La relation de couple s’étant nettement détériorée, Nadia
demande le divorce. Son mari, qui a vu son rêve d’une vie meilleure au
Canada fondre comme neige au soleil, retourne bredouille au pays.
“Maintenant, je vis heureuse avec mes deux enfants qui sont à l’école”,
souligne-t-elle. Ces deux cas de divorce illustrent bien le choc
culturel auquel font face les immigrants, pas seulement algériens. “Il y
a deux genres de couples qui divorcent. Des couples issus du parrainage
et des couples qui ont déjà un vécu commun en Algérie. Ces derniers
vivent un choc culturel”, fera remarquer Soumeya Bensalem, avocate et
ancienne juge en Algérie.
Couples fragiles
Mais, nuance
l’avocate, il n’y a pas que le choc culturel qui est à l’origine de la
séparation des couples algériens. Il y a d’autres facteurs objectifs et
subjectifs qui y contribuent. Me Bensalem s’attarde sur la fragilité de
certains couples qui n’ont pas recouru au divorce en Algérie, parce que
l’environnement social ne s’y prêtait pas. “Chez nous, le divorce est
mal vu, surtout pour une femme. Et puis, il y a le poids de la famille
et de la société.
Donc si on arrive au divorce, c’est que le
couple ne peut plus vivre ensemble”, explique-t-elle. Le cas de cet
ancien dirigeant d’une entreprise nationale est illustratif de la
détresse que vit nombre de couples en exil. Après une vie bien remplie
en Algérie, ce cadre décide de s’établir au Québec avec sa famille.
Malgré des débuts difficiles dans la Belle Province, le couple arrive à
s’accrocher malgré tout, et ce, dans la seule optique d’offrir de
meilleures perspectives aux enfants. Déçu de ne pas pouvoir retrouver
son ancien statut, l’homme voit son rêve américain se transformer en
cauchemar québécois.
Il veut retourner au bled, mais sa femme refuse
; celle-ci se plaît dans la nouvelle société d’accueil. Lui décide
alors de rentrer seul. Mais le juge est passé par là. Sentence : le
divorce après des années de vie commune.
Farida est relativement
nouvelle au Québec. Arrivée en juillet 2009 avec son mari et ses deux
filles scolarisées, elle est restée plus d’une année sans travail.
Pourtant, elle avait au pays sa petite entreprise qui tournait bien,
elle qui avait une vie professionnelle des plus denses. Son mari non
plus n’a pas trouvé d’emploi.
D’ailleurs, il n’a pas tardé à
renter en Algérie pour régler ses affaires. “J’ai dû suivre une
formation en création d’entreprises. Maintenant je gère avec mon
associée une affaire ici”, dira Farida, qui a fait des pieds et des
mains pour faire revenir son mari auprès d’elle. Seulement voilà :
l’homme a changé. Pour tirer l’affaire au clair, elle est rentrée en
catastrophe en Algérie.
Pour toute explication, ce fut une
procédure de divorce enclenchée au tribunal de Tizi Ouzou. Elle attend
maintenant le jugement. Son mari qui a rallié récemment Montréal a été
contraint de quitter le domicile conjugal. Il vit seul, alors que son
ex-épouse a gardé la maison avec ses deux filles. “Il a volé ma
jeunesse, ma vie”, se lamente la femme entrepreneur.
D’autres cas
de divorce ont été enregistrés dans la communauté algérienne. Même
des imams se sont impliqués pour tenter de concilier des couples sur le
point de rupture. “J’ai moi-même essayé de raisonner des couples qui
étaient sur le point de divorcer. Il y a des cas où j’ai pu régler le
problème à l’amiable, mais souvent ce n’est pas évident”, regrette un
imam qui estime que la mosquée pourrait jouer, y compris au Canada, un
rôle dans la préservation du couple musulman.
Divorcés dans l’avion
Nordine tomba des nues, le jour où il a appris de la bouche de sa femme
cette sévère sentence qui a failli lui couper le souffle. “À partir de
maintenant, je ne suis plus ta femme, tu n’es plus mon mari !” “Elle m’a
annoncé la nouvelle dans l’avion, lors de notre premier voyage au
Canada”, se souvient avec un pincement au cœur notre interlocuteur. Une
fois arrivé à l’aéroport de Montréal, il est face à son destin.
Mais
comment va-t-il faire, lui, qui n’a aucun contact dans la métropole
québécoise ? La mort dans l’âme, il essaie d’oublier son mariage, dont
la lune de miel a duré le temps d’une brise qui passe. Aux dernières
nouvelles, son ex-épouse a trouvé chaussure à son pied. Elle vit avec un
autre homme. Et lui, toujours seul, mais il veut d’abord s’en sortir et
réussir sa vie professionnelle. Ce qu’il entreprend, il est vrai, avec
des hauts et des bas.
Depuis longtemps au Québec, Hocine a vécu
une histoire digne des scénarios hollywoodiens. Après des études
universitaires, il entame une carrière professionnelle prometteuse. Très
vite, il gravit les échelons. La réussite sociale n’est pas loin : il
possède une grande villa et roule carrosse flambant neuf. Mais son
célibat l’attriste alors qu’il avance dans l’âge. Il décide alors de
convoler en justes noces avec une compatriote pour qui il a entamé les
démarches de parrainage. L’homme est heureux d’enterrer enfin son
célibat.
Il rentre d’Algérie tout content, tandis que sa femme attend
son visa. Le jour de la venue de sa femme, il arrive à l’aéroport de
Montréal avec des amis pour l’accueillir. Mais voilà que celle qui est
censée être sa moitié, au lieu de venir dans sa direction dans le hall
de l’aéroport, a pris la tangente avec un Québécois “pure laine” selon
la formule consacrée, avec qui elle était en contact via Internet.
Hocine a vu le monde s’écrouler sous ses pieds. Échaudé, il hésite à
chercher une femme pour son cœur meurtri.
D’autres cas de divorce
ont été enregistrés. Mais la plupart de ceux à qui cela est arrivé
refusent de témoigner, y compris anonymement. Très active dans le
mouvement associatif, Mme Bensalem veut aider les couples en difficulté.
Elle compte en tout cas sensibiliser les nouveaux arrivants. “Quand on
émigre, c’est comme si on entamait une nouvelle vie. On refait tout à
zéro ; c’est comme si on découvrait son couple”, conclut l’ancienne
magistrate.
Source: Liberté : Yahia Arkat